Blogs Rue89 // Conférence sur le spectacteur
Les trois conférenciers face à la question multipliée du spectateur (Vincent Ardelet, l’Outil)
Des spécialistes du fond des choses
Trois des quatre compères, Baptiste Amann, Solal Bouloudnine et Olivier Véron, ont fondé une holding, l’Outil (Ouvroir universel du tout inutile limited ? Le dépliant sur papier glacé de la firme ne décline pas l’acronyme), dont l’IRMAR est une des branches maîtresses.
L’Outil a été mandaté par l’OCDS (l’Observatoire du comportement du spectateur, organisme fondé lui-même par l’Outil) pour pondre un rapport d’expertise sur ce que l’on nommait naguère “Us et coutumes du spectateur” et que l’on traduit aujourd’hui par “ Spectateur : droits et devoirs ”, titre plus vendeur à n’en point douter.
Etre ou ne pas être spectateur
Bien entendu, cet intitulé (pourquoi changer un titre qui gagne) est celui de la conférence-spectacle que proposent les trois experts durant quelques soirs. Une vraie conférence, avec conférenciers en cravate, micros récalcitrants, carafe d’eau, écran et powerpoint. Détail piquant : le public est autant cobaye que spectateur. Il paye pour entendre parler de lui, c’est le principe de la psychanalyse familiale appliquée aux arts vivants.Au bout d’une heure quinze, guère plus, les trois conférenciers auront fait avancer le débat, lequel reste ouvert, car on aura beau faire le tour de la terre, on ne fera jamais le tour de la question du spectateur. Qu’il soit lambda, norvégien ou hyper spécialiste, il se retrouve toujours le cul assis sur un fauteuil, pire un gradin, (plus rarement un strapontin, voire une marche).
L’assisse du spectateur est l’une des questions de fond abordées par les conférenciers. Comment se tenir une fois assis ? Tendu vers l’avant dans une soif éperdue de sensations fortes ? Avachi dans la ouate du velours et trompant le temps qui ne passe pas en envoyant des textos ? Hiératiquement attentif ? Mollement dubitatif ?
Résister au sommeil de l’ennui
Ou encore comment résister au sommeil, lequel, tribu de l’ennui, vient irrémédiablement quand, au bout de dix minutes, on sent que la soirée est morte-née, que ce metteur en scène est un ramasse-miettes, ces acteurs des boîtes à cris, cette pièce ni faite ni même à refaire, bref que le monde court à sa perte dans ce siècle de merde.Alors vous ne voulez pas voir ça et vous fermez les yeux. Oui, mais comment ne pas se faire remarquer par les autres spectateurs ? Par l’acteur principal qui, vous en êtes persuadé, ne regarde que vous, guète le mouvement de votre paupière et vous fusille préventivement du coin de l’œil ?
Les trois experts proposent différentes stratégies powerpointées ou pas, pour faire face à ces épineux problèmes qui pourrissent la vie du spectateur. Ce n’est pas pour rien qu’ils se sont autoproclamés ONG. Bien entendu, le titre du spectacle est assez vite oublié : même quand il doit parler du spectateur, tôt ou tard l’acteur ne parlera que de lui-même, c’est tout ce qu’il sait faire, c’est pour cela qu’on le paie (souvent mal) et c’est pour cela qu’on vient le voir.
Car en dépit de la profondeur abyssale de leurs recherches, de la vacuité toujours en alerte de leur exigence dramaturgique, les trois conférenciers de cette conférence ne menant effectivement à rien, sont joliment complices et excellents acteurs.
Les Trois Coups.com
Le jeune collectif L’Outil présente à La Loge un cours-conférence didactique à l’attention du spectateur. Le projet, créé à l’occasion du Off d’Avignon 2011, entend rappeler au public de théâtre ses responsabilités mais aussi ses prérogatives. Une mise au point hilarante pour (re)trouver le spectateur avisé qui sommeille en chacun de nous.
N’est pas spectateur de théâtre qui veut. S’enfoncer dans les
fauteuils d’une salle obscure, les yeux rivés à l’écran, ou arpenter à
la va-vite les salles d’une exposition, implique un
regard qui n’est pas celui du spectateur de théâtre. Encore
faut-il que ce dernier s’en souvienne et ne reproduise pas dans les
gradins des attitudes d’avilissement, d’impatience ou d’hébétude
propres à d’autres représentations. Et c’est précisément la
mission de l’O.C.D.S. (Observatoire du comportement du spectateur) de
venir remettre les pendules à l’heure et
délivrer à un public « laïque républicain » trié sur le volet une
formation accélérée en matière de bonne conduite théâtrale.
Pour ce faire, Baptiste Amann, Solal Boloudine et Olivier Veillon,
les trois experts mandatés par l’O.C.D.S., ne lésinent sur aucune
technique managériale. En bons
D.R.H. rompus au discours d’entreprise, les
trois comédiens-metteurs en scène issus de l’É.R.A.C. (École régionale
d’acteurs de Cannes) font face à leur public-cible derrière une table de
conférence des plus classiques. MacBook et micros au bout des
doigts, costumes trois pièces sur le dos, les trois formateurs de choc
sont bien déterminés à en découdre avec le
laisser-aller de l’époque. Au menu de cette formation complète,
plusieurs chapitres, qui défilent au gré de diapositives PowerPoint à
l’esthétique kitsch de plus en plus douteuse, permettent
aux spectateurs de se replonger dans leur histoire, au temps béni
où, courtois et disciplinés, ils regardaient encore tous dans la même
direction. D’où viennent-ils ? Qui sont-ils
sociologiquement parlant ? Comment doivent-ils aborder la
représentation ?…
Voyage en absurdie
Le dispositif scénique simple, qui reproduit la tenue d’un séminaire
professionnel, est tout d’abord déconcertant mais se révèle
particulièrement efficace. Le format original du
cours-conférence place en effet le public dans une position
fondamentalement ambiguë – il est à la fois spectateur, cible, cobaye et
finalement un peu acteur lui-même –, qui n’est pas
déplaisante. Il faut également saluer le caractère profondément
comique de la prestation de l’O.C.D.S., chaque comédien incarnant avec
justesse un rôle précis et complémentaire au sein de
l’équipe formatrice. Baptiste Amann, le leader du trio et as du
bruitage, est relayé par Solal Bouloudine, particulièrement
charismatique en animateur et médiateur tout terrain.
Enfin, Olivier Veillon, auquel incombe le rôle du méchant, est
génial, à la fois en puriste du bon usage théâtral et en danseur
névrotique habité par l’idée de souffrance.
Car, on l’aura compris, les experts en question n’ont d’expert que
le nom. Sous couvert de dispenser informations et conseils avisés, les
formateurs imposteurs reproduisent en vérité le
discours hérité d’une logique managériale paternaliste. C’est
alors le monde de l’entreprise, avec ses procédures incessantes
d’évaluation, et la tendance moderne à un « coaching »
généralisé qui se retrouvent en ligne de mire, immanquablement
tournés en dérision. Des attitudes qui finissent par ne trahir que le
ridicule et le vide d’une parole prétendument experte qui
brille surtout par son absurdité comique. Dynamique et bien
rythmé, le spectacle pèche cependant parfois par le caractère répétitif
de son comique. Certaines séquences, dont on comprend assez
vite le noyau humoristique (notamment le défilé de fonds d’écran
ridicules ou l’épisode de la quête d’une bouteille d’eau), auraient
ainsi pu être condensées pour gagner en acuité et rendre
l’ensemble plus équilibré.
Spectateurs, unissez-vous !
L’O.C.D.S. n’entend néanmoins pas seulement rappeler au spectateur
ses devoirs en lui apprenant à se conformer à un certain nombre de
règles, mais bien l’encourager également à faire valoir ses
droits. Et notamment le premier d’entre eux, celui de ne pas aimer
ce qu’on lui présente et de le faire savoir. Il n’est donc pas question
uniquement de bonne conduite ou de morale dans cette
performance, mais aussi d’émancipation. Le chapitre intitulé
ironiquement « chapitre suivant » présente ainsi un court spectacle
mêlant vidéo et danse, dont la voix off au ton glacial
et dramatique et la séquence dansée absolument ridicule ne sont
pas sans rappeler certaines dérives de la création contemporaine (qui ne
manqueront pas de résonner au cœur de tout aficionado
du Festival d’Avignon). Pris en otage, le public peut alors
légitimement, nous apprend-t-on, faire valoir son « droit de regard ».
Car au terme de ce recadrage express, les
spectateurs sont devenus les véritables experts que l’on
attendait, autrement dit « vifs, alertes, conscients, avisés, au fait
des véritables enjeux de leur activité ».
Avec un humour qui n’est pas sans rappeler celui des Deschiens
pour le côté absurde, les trois acteurs et coauteurs de cette
« conférence performative » forment donc le
spectateur de demain aux deux attitudes contradictoires qui lui
incombent : la discipline et la révolte. Une session intensive à
recommander d’urgence aux futurs
festivaliers 2013.
Juliette Rabat
Baptiste Amann, Solal Bouloudnine et Olivier Veillon sont des experts du comportement du public. Ils manient aussi à merveille le verbe et la boutade. En clair, ce sont des imposteurs. Ils présenteront les 7 et 8 février leur cours-formation “Spectateur : droits et devoirs” (dans le cadre du festival ACTIONS) dont l’ambition est de “rétablir une certaine morale chez le spectateur contemporain”. Le but est ainsi de vous apprendre à devenir “des spectateurs vifs, alertes, conscients, avisés, au fait des véritables enjeux de leur activité”. On a tenté d’y voir plus clair. Entretien. Quelles interactions il y a avec le public dans cette formation ? Olivier : Aucune. On ne fait pas ça pour le public en fait, c’est pas vraiment notre souci. C’est plutôt pour s’amuser. Baptiste et Solal : C’est en fin de compte la même interaction qu’il peut y avoir entre des élèves et des professeurs, entre le moniteur d’auto-école et celui qui apprend à conduire, entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Donc elle est limitée dans le sens où nous, on sait quand même les choses. Alors oui, c’est un peu comme la transmission du code de la route, c’est un savoir. C’est une sorte de code de la route du spectateur. Solal : On a fait un stage en fait, à l’OCDS, l’Observatoire des comportements du spectateur. C’est une ONG. Baptiste : On est employés par cet organisme qui a été créé par Yves Pirson dans les années 70. Solal : L’été 73 précisément. Baptiste : Il y a eu à cette époque beaucoup d’expériences artistiques, et un schisme entre les publics qui ne savaient plus très bien déterminer si un projet était crédible ou pas. Du coup cet organisme s’est monté, en disant qu’il fallait ré-éduquer le spectateur pour qu’il puisse avoir les attitudes adéquates. Olivier : Mais ça c’est venu plus tard. Il y a eu d’abord toute une phase d’observation des comportements des publics pendant une quinzaine d’années. À la suite de ça, des opérations de formation des spectateurs sont arrivées. Toutes sortes d’écoles du spectateur, on a vu ça dans tous les théâtres… Baptiste : Et nous on prend un peu le relai… disons qu’on est la nouvelle génération ! On apporte quelque chose de nouveau car c’était quand même des formations un peu rigides. Nous, on essaie de toucher la jeunesse aussi donc on a préparé des petites choses qui nous paraissent être “dans le vent”.
“On avait vu en formation
PowerPoint qu’une animation, comme une arrivée de texte, permettait une
communion plus rapide avec le public” - Solal
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